De nouvelles marches européennes contre le chômage et la misère en 2010 ?

Publié le par Espiel71 Militante


Depuis l’assemblée européenne à Kiev en juin 2008 en préparation du 5ème Forum Social Européen, l’idée circule de nouvelles marches européennes contre le chômage, la précarité et l’exclusion sociale. L’idée a été reprise dans les conclusions de la première université d’été européenne des Attac en août 2008, et ensuite dans les conclusions du FSE de Malmö en septembre de la même année.

L’origine

Originalement la proposition vient de militantes d’organisations de lutte contre la pauvreté en Belgique, et notamment dans la région flamande. Ces organisations essaient de dépasser un rôle de lobbying, et d’organiser de véritables mobilisations de pauvres. Ainsi on voit chaque année à l’occasion du 17 octobre, journée mondiale de lutte contre la pauvreté, une véritable mobilisation de pauvres dans les rues de Bruxelles. C’est assez impressionnant.

Ces militantes flamandes partaient du constat que l’Union Européenne a décrété 2010 année européenne de lutte contre la pauvreté, et que la Belgique préside l’UE la deuxième moitié de 2010, donc notamment le 17 octobre 2010. Elles se demandaient si ce 17 octobre 2010 ne devait pas être l’occasion de nouvelles marches européennes convergeant sur Bruxelles. Afin d’en discuter, elles ont contacté des militants à Bruxelles du réseau des « Marches européennes ».

Ce dernier réseau existe depuis le Sommet européen d’Amsterdam en 1997. Il a été le premier réseau à organiser de véritables mobilisations sociales à l’échelle européenne pour combattre le néolibéralisme de l’UE. La manifestation à Amsterdam à l’occasion du sommet européen (50.000 personnes) était également une première. Cette mobilisation se situait à l’intersection entre la montée pendant les années 1990 du chômage en Europe, et l’accélération de l’unification européenne sur une base néolibérale (Acte Unique, Traité de Maastricht). Le réseau était composé d’un large éventail d’organisations sociales et syndicales, et après 1997 a continué à se mobiliser. Il a participé à la construction du FSE, même si son noyau stable s’est rétréci.

Ainsi l’idée de nouvelles marches à fait son chemin, via Kiev et Saarbrücken pour atterrir dans l’Assemblée des Chômeurs et des Précaires au cinquième Forum Social Européen à Malmö en septembre 2008, et être repris dans les conclusions de ce FSE.

Une conférence européenne

Afin de progresser dans la concrétisation de l’idée, les Marches européennes ont participé à une conférence européenne au Parlement Européen le 3 et le 4 novembre 2009, qu’elles organisaient en collaboration avec la GUE, le groupe politique de la gauche au Parlement Européen. Des représentants de l’EAPN, de la Marche mondiale des femmes et d’autres réseaux y participaient également. Lors de cette conférence, nous avons constaté qu’il y avait plusieurs projets pour octobre 2010, plus précisément entre le 10 et le 17 octobre, qui convergent. Citons-les.

(1) Le samedi 10 octobre 2010 la Marche Mondiale des Femmes (MMF) organise une mobilisation à Tervuren, une commune tout près de Bruxelles, devant le Musée de l’Afrique Centrale. Cette mobilisation est une des activités de clôture de la MMF 2010. La semaine après une délégation partira au Kivu (dans l’Est du Congo) où la MMF 2010 sera clôturée. La lutte contre la pauvreté est une préoccupation importante de la MMF, et ce n’est donc pas un hasard si cette édition de la MMF se termine le 17 octobre 2010, journée mondiale de la lutte contre la pauvreté. Pour plus d’informations sur la MMF, voir notamment leur dernier bulletin international: http://www.marchemondiale.org/bulletin_liaison/2009/200903/fr/

(2) Trois jours après, le mardi 12 octobre 2010, le réseau européen de lutte contre la pauvreté EAPN envisage d’organiser avec 4000 personnes une chaîne humaine entre les trois institutions européennes (Commission, Conseil et Parlement). C’est EAPN qui a revendiqué que 2010 soit une année européenne de lutte contre la pauvreté, et qui veut maintenant que cette année mène à des résultats tangibles. Une de leurs revendications les plus importantes est que l’UE doit imposer à ses états membres l’adoption d’un revenu minimum adéquat par état membre. Voir : www.eapn.org

(3) Le dimanche après, le 17 octobre 2010, les organisations de lutte contre la pauvreté en Belgique organisent comme chaque année un ensemble d’activités, avec une mobilisation importante à Bruxelles. Vu que 2010 est l’année européenne de lutte contre la pauvreté, un effort supplémentaire sera de mise.

(4) A partir d’août des actions seront organisées un peu partout en Europe contre le chômage qui explose, le travail précaire et l’exclusion sociale. Ces actions consistent entre autre en des marches qui devraient converger cette même semaine du 10 au 17 octobre vers Bruxelles, parce que la Belgique préside l’UE la deuxième moitié de 2010. Cette initiative est portée par un large éventail d’organisations, et permettra des initiatives décentralisées dans une série de villes en Europe et en Belgique. En Belgique sont impliqués notamment les Travailleurs Sans Emplois de la FGTB et plusieurs organisations de pauvres et de sans papiers. Ces marches ont repris la revendication d’une taxe sur les transactions financières, qui est une revendication emblématique des réseaux européens qui travaillent sur la crise financière (on ne peut découpler la lutte pour l’emploi et la redistribution des richesses).

(5) Des organisations de sans-abri prévoient pendant la même semaine à Bruxelles une conférence européenne sur le logement. Toutes ces organisations sont en contact entre elles au niveau européen et/ou belge, et collaborent pour transformer ensembles les mobilisations du 10 au 17 octobre en un succès.

Le Forum Social de Belgique

Il va de soi qu’une convergence entre ces différentes initiatives s’impose, pour transformer octobre 2010 en une mobilisation européenne contre le chômage et la misère. Suite à cette conférence, les participants se sont donné rendez-vous à la prochaine réunion de préparation du FSE d’Istanbul fin janvier 2010 à Berlin, et à une nouvelle conférence européenne à Bruxelles le weekend du 10-11 avril 2010.

Le Forum Social de Belgique (FSdB) prépare elle aussi la présidence belge de l’Union Européenne. Le FSdB est une structure permanente, avec une mi-temps au secrétariat (Monica Espinoza), et est composé d’un ‘comité de pilotage’ et d’une assemblée générale. Le FSdB a connu une longue période difficile suite à des divergences internes sur sa fonction (quelle est sa mission spécifique à côté des nombreuses autres plateformes et coordinations), mais compte se relancer, notamment en s’investissant dans la préparation de la présidence belge de l’UE. Rappelons que le FSdB a été fondé en février 2002 suite aux mobilisations dans le cadre de la présidence précédente de la Belgique de l’Union Européenne fin 2001 (« D14 »). Les Marches européennes font partie des organisations fondatrices du FSdB, et ont longtemps assuré le lien entre le FSdB et le FSE.

Pour préparer la présidence belge, le FSdB organisera une journée de discussion et de mobilisation le samedi 10 avril 2010. Cette date du 10 avril a été consciemment choisie pourqu’elle coïncide avec la deuxième conférence de préparation des marches européennes le weekend du 10 et 11 avril, afin de faciliter des échanges réciproques. En effet, les mobilisations contre le chômage et la misère en octobre 2010 font maintenant partie de la préparation par le FsdB de la présidence belge de l’UE, à côté d’autres initiatives et axes.

Quelques questions politiques

Citons quelques problèmes politiques qui sont discutés dans le cadre de la préparation des marches de 2010.

(1) Une première question est le lien de nos revendications avec la répartition des richesses dans la société. Comment traduire ce lien en revendications ? Le choix a été fait d’adopter comme une des revendications phares la taxe sur les transactions financières. Cette taxe est adoptée comme une revendication emblématique lors des réunions successives de l’espace inter-réseaux (cross network space) né dans la foulée de la crise économique et financière, lors de réunions successives à Paris, Francfort et Bruxelles. La revendication de cette taxe a un avantage évident dans la mesure où elle vise clairement les pratiques du secteur financier, délégitimées dans les yeux de l’opinion publique. En reprenant cette revendication, nous avons voulu renforcer les convergences entre mouvements et réseaux, et notamment avec les forces qui réfléchissent à partir de la sphère financière, là où notre point de départ pour attaquer les mêmes politiques néolibérales est la crise sociale.

(2) Une deuxième question est le rapport entre revenu et emploi. C’est une question récurrente parmi nos organisations : comment articuler la revendication d’un emploi et d’un revenu ? Ce n’est pas une difficulté théorique abstraite, mais une question qui reflète des façons différentes de vivre la crise. On s’imagine facilement que pour les travailleurs menacés de l’automobile la question du maintien de l’emploi est une priorité absolue, tandis qu’un chômeur de longue durée mettra spontanément plus l’accent sur la question du revenu. Les Français ont résolu la question par leur slogan « Un emploi, c’est un droit, un revenu, c’est un dû », mais le débat reprend à chaque rencontre.

(3) La troisième question est celle du lien entre les luttes dans les états membres et la nécessité de confronter les politiques néolibérales au niveau de l’Union Européenne. Spontanément, au niveau européen, c’est la question du revenu qui surgit : la revendication que l’Union Européenne adopte des normes contraignantes pour des revenus et des salaires minimum dans les états membres, pour contrebalancer le marché et le dumping social. Mine de rien, c’est une revendication qui ferait exploser la cohérence de l’architecture néolibérale actuelle de l’UE. Mais elle met l’accent sur la question du revenu, tandis que dans la réalité des états membres avec l’explosion des licenciements et du chômage, c’est la question de l’emploi qui est centrale… Faut-il donc privilégier des revendications qui d’emblée s’adressent aux politiques de l’Union Européenne, ou bien des revendications qui unifient les luttes face aux patrons et aux gouvernements dans les différentes pays (par ailleurs membres de l’UE ou non), par exemple contre les licenciements? Ou comment combiner les deux niveaux ?

(4) Une quatrième question est celle des alliances, qui en partie recoupe les questions précédentes. En effet, comment construire une alliance entre une salariée d’Opel menacée par les licenciements, un sans abri dans les rues de Bruxelles, et un jeune Africain qui au péril de sa vie a traversé la méditerranée pour se retrouver dans un statut ultra-précaire ? Toutes et tous ils sont victimes de la crise de l’emploi qui depuis quatre décennies mine nos sociétés en Europe. La précarisation du marché de l’emploi et la montée des travailleurs pauvres relativise les frontières entre ces groupes sociaux, mais sans les effacer pour autant, et la situation est assez différente entre différents états membres. Comment unifier donc en respectant les différentes façons de vivre la crise ?

L’objectif n’est évidemment pas de résoudre toutes ces questions avant de marcher ensemble. Au contraire, il faut définir des objectifs qui permettent d’agir ensemble, tout en créant les espaces pour continuer la discussion sur les questions qui restent ouvertes.

Le prochain rendez-vous

Tout cela sera rediscuté le vendredi 29 janvier 2010 à Berlin, lors d’une réunion européenne qui se situe dans le cadre de l’AEP de Berlin ce weekend-là. Le potentiel des Marches2010 est évident. Ces marches pourraient aider à commencer à surmonter la passivité et la résignation face à l’énormité de la crise, et permettre aux forces les plus militantes de prendre l’initiative. La gauche politique pourrait y trouver un levier pour agir au niveau européen aussi en dehors des institutions. Mais tout cela reste de l’ordre du potentiel, car actuellement et comparé au défi les forces qui portent l’initiative restent assez fragiles.

Publié dans Ce que je sais

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